Les jonques géantes de l'amiral Zheng He

Le documentaire intitulé « La grande histoire des cartes » que TV5 Monde vient de diffuser ce matin (et qui sera diffusé une deuxième fois le 28 mars prochain) était particulièrement intéressant et instructif. Non seulement, il m’a permis de mieux comprendre les grandes étapes de la cartographie, de la première carte connue, gravée dans la roche, jusqu’aux images satellite de la mappemonde virtuelle de Google Earth, mais il m’a également permis de sortir de ma vision eurocentrée de l’évolution historique, d’une part en mettant en valeur le rôle du monde arabe dans la diffusion des connaissances au sortir du Moyen-Âge, d’autre part, en me faisant découvrir un personnage historique de première importance : l’amiral chinois Zheng He.



Peut-être le connaissez-vous déjà... Huo Jianying, dans un article de La Chine au présent, dit qu’il est pratiquement plus connu en Asie du Sud-Est qu’en Chine ! En Occident, j’ai découvert qu’il l’était de plus en plus, surtout depuis la publication en 2002 du livre de Gavin Menzies intitulé « 1421, l'année où la Chine découvrit le monde». Selon l'historien britannique, l'amiral chinois Zheng He aurait découvert les Caraïbes 72 ans avant Christophe Colomb et aurait été le premier navigateur à faire le tour du monde, un siècle avant Magellan. Plus encore, il soutient que les cartes et planisphères européens du milieu du XVè siècle ont été établis grâce aux observations de l’amiral chinois. Une carte découverte en 2001 par l'avocat et collectionneur chinois nommé Liu Gang vient conforter sa thèse : cette carte, qui représente de façon assez exacte l’ensemble du monde, et qui serait la copie d’un original datant de 1418, exécutée en 1763 par un copiste chinois, montrerait que les Chinois ont découvert le monde 70 ans avant Christophe Colomb.

La carte de l'avocat et collectionneur chinois Liu Gang est-elle un faux?



Son authenticité reste cependant à prouver. De nombreux chercheurs en doutent. Sur son site Internet, Gavin Menzies n'hésite pas à l'authentifier comme "Zheng He's integrated map of the world, 1418". Pour certains spécialistes comme le professeur Mao Peiqi, vice-directeur du Centre de recherches sur les voyages de Zheng He, de l'Université du peuple, cette carte est fausse, elle ne correspond pas au savoir faire de l’époque et aurait été fabriquée au cours des 20 dernières années. Il semble donc que l’amiral chinois Zheng He soit aujourd’hui au centre d’une polémique de plus en plus vive. Ne disposant que de trop peu d’éléments pour pouvoir me prononcer, je préfère m’en tenir aux faits historiques avérés. Qui était l’amiral chinois Zheng He et que s’est-il donc passé en ce tout début de 15ème siècle ? J’ai fait une petite recherche sur Internet et voici les informations que j’ai pu rassembler.



Il y a plus de 600 ans, le 11 juillet 1405, les 62 baochuan (« bateaux précieux ») de la « Flotte des trésors » quittent le port chinois de Liujiagang* à destination de l’Inde. A leur tête, un colosse de près de deux mètres, l’amiral Zheng He (Cheng-Ho), chargé par l’empereur chinois Zhu Di (Yong-Lo ou Yongle) de nouer des relations commerciales et diplomatiques dans les pays des mers du Sud. La « Flotte des trésors » est une véritable armada, « la flotte la plus puissante que le monde ait jamais connue », assure la tradition chinoise. Ses baochuan sont des vaisseaux d’une taille impressionnante pour l’époque : les plus grands mesuraient 130 mètres de long pour 60 mètres de large, et emportaient un équipage de plusieurs centaines d’hommes. A côté d’eux, les caravelles de Christophe Colomb, cinq fois plus petites, avec une quarantaine de marins seulement, auraient semblé des coquilles de noix !

Comparaison d'une caravelle de Colomb avec une jonque de Zheng He

Il ne faut pas oublier qu’au XVème, la Chine de la dynastie des Ming (1368-1644) est très en avance sur les pays occidentaux dans de nombreux domaines, notamment dans le domaine naval . Claudio Sepulveda rappelle quelle était la puissance maritime chinoise :
« Les quatre siècles ( du XIème au XVème siècle ) de puissance maritime chinoise correspondent à l'époque de la grande jonque, témoins d'une continuité de traditions maritimes et de supériorité technique sur le Portugal et l'Espagne. Entre autres innovations :
1. des instruments de navigation comme la boussole et le compas ;
2. l'utilisation de plusieurs mâts dès le IIIe siècle ( l'Europe attendit le XVe pour les adopter ) ;
3. le bateau à aubes mille ans encore avant l'Europe ; et
4. le gouvernail-fenêtre, plus facile à manier, quelque 700 ans avant ( XXème siècle pour l'Europe ) ».


Entre 1403 et 1433, au cours de ses sept expéditions, Zheng He (Cheng-Ho) établit des contacts avec plus de 30 pays et des régions de l’Asie du Sud-Est, des pourtours de l’océan Indien et de la mer Rouge, et de la côte est de l’Afrique.


Les expéditions de l'amiral Zheng He, de 1405 à 1433

Comme il appartenait à une minorité de confession musulmane, les Hui, sa nomination en tant que commandant en chef et ambassadeur impérial contribua à développer des relations amicales entre la Chine et de nombreux pays de l’Islam. Hormis quelques interventions ponctuelles, les expéditions de Zengh He furent généralement pacifiques. Dans un article du journal Le Monde daté du 25 janvier 2005, Jacques-Marie Vaslin explique que "le but de cette expédition n'est pas commercial mais essentiellement diplomatique. Zheng He, un eunuque au service de l'empereur, devait s'assurer de l'allégeance des souverains visités. En échange du versement d'un tribut, parfois symbolique, et de leur vassalité, les pays gagnaient la protection militaire de la Chine". L'histoire de la tablette trilingue de Ceylan montre cependant que les efforts diplomatiques de Zheng He se heurtèrent parfois à des tensions locales, voire des résistances, et eurent vraisemblablement des prolongements militaires.

Stèle de l'amiral Zheng He, Musée national, Colombo; les inscriptions de cette stèle sont gravées en chinois, en tamoul et en persan. Elles rendent hommage, côte à côte, à Bouddha, Shiva et Allah. La stèle fut érigée en 1411 lors du troisième voyage de l'amiral Zheng He à Ceylan.


Malgré tout, Dr Johannes Widodo estime que « le plus grand héritage de l’amiral Zheng He est la coexistence pacifique de différentes religions et de différents groupes ethniques. Il a favorisé l’esprit de tolérance, d’ouverture et de respect de la différence à travers la pratique des échanges commerciaux et culturels, résultant dans une fusion harmonieuse, un sentiment d’appartenance commune et d’une identité partagée à travers l’Asie du Sud-Est ». Son passage en Asie du Sud-Est laissa une empreinte si vivace qu'il y fut divinisé : son culte survit encore de nos jours où il est vénéré sous le nom de Sanbao Miao, corruption de son titre officiel de Sanbao Taijian.

En 2001, l’UNESCO a adopté la Déclaration universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle et « confirmé son engagement en faveur de la féconde diversité des cultures dans un esprit de dialogue et d’ouverture, prenant en compte les risques d’homogénéisation et de repli identitaire liés à la mondialisation ». Avant-hier, lundi 20 mars, c’était la Journée de la Francophonie, intitulée « Vivons ensemble, différents ». Il est possible que, sur la voie du dialogue et du respect de la différence dans un contexte de mondialisation, l’amiral chinois Zheng He nous ait tous devancé... il y a plus de 600 ans!

* Liujiagang est l'ancien port de Taicang, près de Shangaï, dans l'embouchure du Changjiang (Yangtsé), actuelle province du Jiangsu.

À voir:

  • La grande histoire des cartes, écrit par Dominique Lecourt et Éric Wastiaux, réalisé par : Éric Wastiaux; documentaire produit par : Françoise Castro. BFC Productions avec la participation de France 5; durée : 52’ 34; avec : Christian Grataloup, professeur de géographie historique, Université de Paris VII ; Michèle Beguin, maître de conférences CNRS ; Roger Brunet, géographe ; Jean Lefort, auteur de « L’aventure cartographique » ; Charles Mela, Directeur de la Fondation Martin Bodmer à Genève ; Monique Pelletier, historienne ; Hélène Richard, directeur du département des cartes et des plans à la BNF ; João Marinho Dos Santos, professeur d’histoire militaire, Université de Coimbra ; Francisco Contente Domingues, Vice-Président de l’Académie de la Marine de Lisbonne ; Gérard Chappart, chef de la Cartothèque Institut Géographique National ; Françoise de Blomac, géographe, journaliste.

A vos écrans et à vos magnétoscopes, ce programme sera diffusé une deuxième fois le 28 mars, à 3 heures du matin malheureusement! Si vous êtes prof et que vous avez besoin de conseils pour l'exploitation pédagogique de ce documentaire en classe de FLE:


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